dimanche 13 décembre 2015

Cover / uncover #3 : Ballad of Hollis Brown


Voici une chanson gaie et primesautière comme nous les aimons chez Gracchus. Ballad of Hollis Brown figure sur le troisième album de Bob Dylan, The Times They Are a-Changin' (1964). Robert Zimmerman semblant très soucieux de protéger ses droits, on ne trouvera pas cette version sur YouTube, et l'on devra se contenter de celle-ci, un peu moins réussie :




Sur un thème ultra-minimaliste, quelques notes sèches autour d'un accord unique, Dylan compte la triste histoire d'un fermier misérable du Dakota du Sud qui, de désespoir, finit par tuer sa femme et ses enfants avant de se tirer une balle dans la tête. Un fait divers malheureusement courant dans cette « Autre Amérique » que décrivait dans son essai publié en 1963 Michael Harrington (The Other America : Poverty in the United States), un livre qui influença la fin du mandat de J. F. Kennedy et la « Guerre contre la pauvreté » menée par son successeur, Lydon B. Johnson.

Ce n'est pas la chanson la plus connue de Dylan, mais elle a quand même donné lieu à un certain nombre de reprises. Certaines sont très fidèles au modèle d'origine, une ballade minimaliste guitare / chant, par exemple l'excellente interprétation, chantée avec beaucoup d'âme, du très confidentiel Dolbro Dan.

Mais dans la veine minimaliste, la version qui prend le plus aux tripes, à mon humble avis, est celle qu'interprète Nina Simone, dans un live de 1965. Le piano a remplacé la guitare, un orchestre très discret joue en toile de fond une rythmique hypnotique, Nina Simone est totalement en transe : observez son visage dans les dernières secondes.
 



La chanson de Dylan a aussi inspiré des versions plus « expérimentales ». Parmi les curiosités, on citera celle d'Iggy & The Stooges, une version enregistrée en 1973 mais publiée en 1987 sur l'album Death Trip, qui regroupe quelques « fonds de tiroir » : celui-ci fait furieusement penser à une impro en répète, une boîte à rythme réduite à sa plus simple expression, une guitare étique, Iggy qui semble avoir avalé un boîtier de réverb et qui prend quelques libertés avec le texte... Dans un registre différent, David Lynch livre une interprétation plus électro sur son second album studio, The Big Dream (2013). Elle a inspiré une vidéo très lynchienne que voici :



Pour finir, quelques énervés se sont aussi emparés du titre de Dylan. La tache est difficile, car les grosses guitares se prêtent assez mal à une chanson aussi minimaliste. La version de Nazareth, groupe écossais de hard-rock, sur l'album Loud 'N' Proud (1973), est un peu lourdingue (mais cohérente avec le titre de l'album !). Quant à celle d'Entombed, groupe de death metal suédois... eh bien c'est du death metal suédois, faut aimer. Quitte à sortir le gros son, je préfère de loin la version de Rise Against, groupe de punk / hardcore de Chicago, au militantisme social et écolo revendiqué, sortie en 2012 sur un album de reprises de Dylan pour les 50 ans d'Amnesty International. La vidéo ci-dessous, à mi-chemin entre le clip classique et le documentaire, est parfois un peu démonstrative, mais rappelle à quel point le texte de Dylan, plus de cinquante ans après, reste toujours d'une effrayante actualité... [H. P.]


lundi 7 décembre 2015

Cover / uncover #2 : Hey Joe (seconde partie)


Après notre petite archéologie pré-hendrixienne (voir le post précédent), passons à l'exploration de la jungle post-hendrixienne. Soyons honnête : pour réussir une reprise intéressante après le monument d'Hendrix, il faut se lever tôt et s'affranchir du modèle. Parmi les centaines de reprises existantes, beaucoup copient le maître (parfois avec talent), peu parviennent à s'approprier le titre et à lui donner une nouvelle vie... Voici une petite sélection, totalement partiale et parfaitement subjective.

Wilson Pickett livre, sur l'album Right On (1970) une version rythm'n blues plutôt réussie, avec une rythmique typique de la soul de la fin des années 60, un orgue moelleux et une section de cuivre punchy qui mettent en relief la puissance du chant.




J'ai un gros faible pour la reprise de Patti Smith, son premier single sorti en 1974. Cette version commence par un monologue écorché (ci-dessous) qui introduit une interprétation encore plus lente que celle d'Hendrix. Ici, ce n'est plus la fureur de la stratocaster qui domine, mais la scansion rageuse du chant (avec beaucoup de phrases ajoutées au texte d'origine), assise sur une rythmique au piano et, en toile de fond, les volutes hallucinées de la guitare de Tom Verlaine (Television).



Allez, une petite dernière pour la route : la version de Willy Deville sur l'album Backstreets of Desire (1992). Le tempo est à mi-chemin entre les premières versions (type The Leaves) et celle d'Hendrix, mais cette version se caractérise surtout par son parti-pris mariachi totalement assumé, parfaitement maîtrisé, et définitivement réjouissant. Et, cerise sur le gâteau, cela n'a rien d'un hors-sujet, puisque le texte de Hey Joe évoque la fuite dudit Joe... au Mexique. (H. P.)